Cinescapade - se souvenir des belles choses

 

 
 

Se souvenir des belles choses
Réalisation : Zabou Breitman ; scénario Jean-Claude Deret, Zabou Breitman. Avec Isabelle Carré, Bernard Campan, Zabou.
France, 2002, 110 minutes, Pan Européenne Distribution

Se rappeler, oublier, se retrouver, perdre, se souvenir des belles choses : ces petits riens qui rythment notre quotidien et qui ne deviennent importants que lorsqu'ils nous font défaut sont au cœur de Se Souvenir des Belles Choses. Du rire aux pleurs, ce film peint le tableau des mille et un aspects de la mémoire et de leur détérioration progressive à travers l'histoire d'un couple pour qui le temps est compté.

Claire (Isabelle Carré) est jeune et elle oublie. Mais la foudre qui l'a frappée pendant un orage ne fait que masquer (ou marquer) le début d'une détérioration cognitive précoce à la fois rare et héréditaire. " Moi, c'est la mémoire ", dit-elle comme pour s'excuser d'être si inadéquate dans les échanges sociaux. Philippe (Bernard Campan), lui, ne sait plus. Il ne sait plus qu'il conduisait ce jour-la, ne sait plus qu'il a perdu sa femme et son fils, ne sait plus qu'il les aimait et qu'ils lui manquent, certainement, ne sait même plus qu'ils existaient, avant. Amnésique, Philippe vit dans un monde crépusculaire, sans mémoire, à l'écart de la tristesse mais aussi du désir. Pensionnaires de la même clinique qui se veut un havre où l'on reconstruit les identités, Claire et Philippe se rencontrent, s'aiment, se soutiennent et cheminent ensemble un moment, avant que l'évolution de leurs affections, l'une sur la pente ascendante, l'autre sur la pente descendante de l'oubli, ne finisse par les séparer.

De leur rencontre au quotidien à deux, Se Souvenir des Belles Choses se divise en deux parties qui reflètent tour à tour les afflictions contraires dont souffrent Claire et Philippe. Entre le déclin et l'amélioration, la maladie se compare et se heurte à la relation amoureuse qui s'épanouit avant de se déconstruire au travers de la lente disparition d'un des partenaires. Zabou, de son vrai nom Isabelle Breitman, signe un premier film remarquable, basé sur un scénario dont on ne peut que souligner l'originalité, qu'elle a par ailleurs co-écrit avec son père Jean-Claude Deret. Tout en dépeignant de manière réaliste le monde des troubles psychiques du point de vue des patients à celui des soignants, la réalisatrice nous entraîne dans un univers où maladie d'Alzheimer et amnésie, futur et passé, se confrontent et se télescopent. Comme Claire, nous voyons le monde à travers une vitre déformée, à travers une fausse transparence. Les hangars déserts deviennent une magnifique forêt, les faits s'altèrent, les mots perdent leur sens. Les moindres détails frappent par leur authenticité, des personnages aux symptômes en passant par les tests psychologiques ou la clinique au jour le jour. Les interprétations sont également d'une justesse étonnante. La performance de la lumineuse Isabelle Carré en particulier est impressionnante. Perdant d'abord les mots, puis les repères et enfin l'esprit, l'actrice se transforme peu à peu en une jeune femme prématurément vieillie, apeurée et balbutiante. Zabou elle-même apparaît dans le film en psychologue compétente et sympathique. Et contrairement à toute attente, Bernard Campan, le fameux pitre des Inconnus, fait ses preuves de manière tout à fait honorable dans le registre dramatique.

Sans se laisser aller au mélodrame ni se faire prendre au piège d'une résolution heureuse moins réaliste, Zabou décrit les joies de l'amour aussi bien que la déchéance inexorable de la mémoire. Elle souligne également avec subtilité et dérision à quel point notre société valorise le souvenir au détriment de l'oubli. Tous oublient, tant du côte des soignants que de celui des soignés, mais les clefs égarées d'un membre de l'équipe ou l'inattention du directeur concernant les horaires ne suscitent pas les mêmes réactions que les oublis des patients. L'amnésie de Philippe en fait un monstre aux yeux de ses beaux-parents alors que les manques du mot de Claire ennuient et angoissent sa sœur, qui ironiquement gagne sa vie en vendant des objets anciens, ces témoins du passé. La mémoire est importante, indispensable comme le mettent en évidence les post-it, passeports mémoire, réveils et autres horloges nécessaires pour que Claire survive au quotidien. Mais au-delà de tout cela, Zabou nous rappelle que l'oubli, c'est aussi aimer à nouveau pour la toute première fois, embrasser pour la première fois, faire l'amour pour la première fois. Se souvenir des belles choses, c'est ne pas oublier ces moments-là.

 

© Briana Berg, 2000